Incapacité de travail de longue durée et réintégration : une approche nécessaire, mais à quel prix ?
Il n’aura fallu que neuf mois cette fois, mais depuis le 3 février 2025, la Belgique a un nouveau gouvernement.
Ce n’est un secret pour personne : le secteur des soins de santé en Belgique fait face à de nombreux défis. En 2024, il a connu d’importantes mobilisations, principalement contre des mesures d’austérité proposées par le gouvernement. Les professionnels de la santé ont exprimé leur inquiétude face à la dégradation des conditions de travail : pénurie de personnel, surcharge de travail, manque de reconnaissance… particulièrement après la pandémie de COVID-19.
Pour toutes ces raisons, les travailleurs du secteur de la santé abordent l’accord de gouvernement avec méfiance.
Dans la continuité du gouvernement précédent, l’objectif affiché est d’optimiser les coûts liés aux soins de santé. Pour cela, l’accord prévoit une série de nouvelles mesures.
Parmi elles, l’introduction de politiques plus strictes pour réintégrer les travailleurs en incapacité de longue durée. Ce nouveau système prévoit de responsabiliser davantage les employeurs et les médecins, qui devront collaborer pour favoriser un retour au travail plus rapide.
Mais si la réduction des absences de longue durée est un objectif légitime, les méthodes choisies soulèvent de sérieuses inquiétudes.
Réduire les absences longues, oui. Mais à quel prix et pour qui ?
Jusqu’à présent, les employeurs n’étaient pas tenus de couvrir les coûts salariaux au-delà du premier mois d’incapacité. La réforme change la donne.
Les entreprises (à l’exception des PME) devront désormais couvrir 30 % des indemnités maladie pendant les deux mois suivant la période de salaire garanti. L’objectif est de promouvoir une gestion plus proactive de l’absentéisme. Mais cela pourrait également décourager l’embauche de personnes ayant des antécédents médicaux, introduisant ainsi une forme de discrimination involontaire.
Les entreprises concernées (plus de 250 salariés) ne représentent que 0,1 % des employeurs en Belgique, mais concentrent 34,9 % de l’emploi total du pays. En réalité, cette mesure affectera donc un grand nombre de travailleurs.
Elle représente un coût annuel estimé à 35,3 millions d’euros pour ces grandes entreprises.
Au-delà de la charge financière, la réforme impose aussi de nouvelles obligations administratives. Après huit semaines d’absence, l’employeur devra demander une évaluation du potentiel de réintégration du travailleur. Si celle-ci est positive, un parcours de réintégration devra être initié. Les grandes entreprises s’exposent à des sanctions si cela n’est pas fait dans un délai de six mois.
💡 Le risque ? Une réintégration guidée par la conformité plutôt que par le bien-être. Les entreprises pourraient être tentées de précipiter le retour au travail, non pas parce que le moment est opportun, mais pour éviter une amende.
D'autres pays européens exigent aussi la mise en place de parcours de réintégration entre 6 et 8 semaines d’absence.
Mais, comme le montrent les cas de l’Allemagne et des Pays-Bas, les sanctions ne sont pas la seule voie possible.
Le système allemand est assez proche du modèle belge en ce qui concerne la rémunération : l’employeur prend en charge l’intégralité du salaire pendant 6 semaines, puis un fonds collectif prend le relais.
Mais c’est dans le soutien et la prévention que l’Allemagne se démarque. Les autorités allemandes offrent un appui ciblé aux entreprises, à la fois financier et institutionnel, pour favoriser une réintégration réussie :
👉 Résultat : entre 75 % et 90 % des travailleurs suivant un parcours progressif sont réintégrés avec succès.
En Belgique, seulement 30,8 % des travailleurs en incapacité de longue durée retournent au travail dans l’année.
Aux Pays-Bas, les employeurs assument 70 % du salaire pendant deux ans — une charge financière bien plus élevée.
Mais la réintégration est abordée comme un processus structuré et collaboratif, qui repose sur :
👉 En comparaison, la réforme belge s’appuie surtout sur la sanction et sur des délais rigides sans offrir le cadre de prévention et de soutien pourtant essentiel à une réintégration réussie.
Une nouvelle plateforme TRIO verra le jour pour coordonner les actions des médecins généralistes, des médecins du travail et des médecins-conseils. Dès le premier mois d’incapacité, les certificats devront y être partagés.
Les médecins devront désormais envisager systématiquement un travail adapté lorsqu’ils rédigent ou prolongent un certificat. Le certificat d’incapacité deviendra un certificat d’aptitude, avec une logique de retour à l’emploi prioritaire.
Les médecins qui délivrent un grand nombre de certificats d’incapacité de longue durée feront l’objet d’un contrôle strict. En cas d’abus perçu, des sanctions pourraient être envisagées.
👉 Cela soulève une question essentielle : les médecins pourront-ils encore prioriser la santé du patient ? Ou seront-ils poussés à favoriser le retour au travail sous pression administrative ?
Les travailleurs en incapacité de longue durée verront désormais leur situation réévaluée régulièrement. S’il est estimé qu’ils disposent d’une capacité résiduelle de travail, un parcours de réintégration devra être entamé. En cas de non-coopération jugée insuffisante, des sanctions sont prévues.
⚠️ Cela instaure une approche standardisée de la récupération, en décalage avec la réalité médicale.
Le sociologue Thomas Périlleux rappelle que la guérison ne suit pas une logique administrative. Un burnout, par exemple, peut nécessiter plusieurs années pour espérer un retour durable au travail.
Des études montrent que 10 à 15 % des cas graves ne reprennent jamais le travail. Et un retour trop précipité augmente fortement les risques de rechute.
Au lieu de se contenter d’imposer une réintégration, il est essentiel de développer une approche plus globale, centrée sur la prévention, la flexibilité, le soutien individualisé
Le bien-être ne peut pas être régulé uniquement par des obligations et des sanctions.
Les politiques de réintégration doivent tenir compte à la fois du processus individuel de guérison et de l’environnement professionnel. Faute de quoi, elles risquent de faire plus de mal que de bien
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